Coup de gueule et réflexion sur l’industrie vidéo-ludique actuelle
Je suis toujours étonné d’entendre un joueur me dire avec fierté : « J’ai fini GTA V et Assassin’s Creed IV à 100% ! ». Difficile de dire d’où leur vient cette motivation sans faille à compléter un jeu à son maximum, un effet répétitif beaucoup moins ressenti ? Beaucoup de temps libre ? Une passion exacerbée pour une licence particulière ? Toujours est-il que même si je suis un « vieux joueur » (génération NES), je ne pense pas être un joueur blasé, ma passion est toujours bien présente, mais les bons jeux défilant plus vite qu’Activision pour sortir un Callof (campeur !!), j’estime qu’il est logique que mon niveau d’exigence ait augmenté avec le temps.
L’importance de la narration
Venons-en aux faits, je hais les jeux en monde ouvert (dits en « Open World ») du plus profond de mon cœur. Cependant ce n’est pas tant la volonté de nous offrir un monde gigantesque que je trouve mauvaise, mais plutôt le fait de vouloir absolument surcharger ce monde de choses à faire, des plus intéressantes choses aux plus anecdotiques. Qui n’a jamais été pris de vertige en ouvrant une carte d’Assassin’s Creed pour constater avec plus ou moins d’amertume la quantité de choses à réaliser pour compléter le jeu a 100% ?
Le problème n’étant d’ailleurs pas forcement le contenu qu’offre le jeu. Après tout, le fait qu’un joueur en ait pour son argent est tout à fait légitime. Le problème est plutôt la façon dont est abordé tout ce contenu au sein même du jeu.
J’aimerais donc inviter les joueurs à réfléchir sur un point qui pour ma part me semble crucial en tant que passionné de ce « jeune media » qu’est le jeu vidéo : l’importance de la narration. Ou plutôt l’équilibre entre la narration et le temps de jeu, à comprendre la période pendant laquelle le joueur aura le contrôle de son avatar.
Qui ne s’est jamais dit lors de l’ouverture d’une carte gigantesque : « Alors, mon objectif est là bas, mais bon, autant aller jeter un coup d’œil à cet objectif secondaire, oh et à celui là aussi, après tout c’est sur le chemin ! » Et sans même le remarquer, 5 heures plus tard, vous en êtes toujours au même point de l’histoire…
Car même si selon les jeux Open World il est tout a fait possible de clore l’histoire principale sans toucher une seule fois à une quête annexe (Assassin‘s Creed Unity dernièrement), dans la plupart des cas, cela se révélera de plus en plus difficile au fur et à mesure de la progression. De plus, il est tout à fait possible que ces quêtes annexes octroient au héros de nouvelles capacités ou pouvoirs qui enrichiront le gameplay central du jeu.
Par conséquent le joueur se sentira souvent obligé de faire quelques quêtes de crainte de rater quelque chose d’important, comme par exemple faire des missions pour maximiser l’arsenal de son navire dans Assassin’s Creed 4 Black Flag, afin de pouvoir réussir les batailles navales liées à l’histoire plus aisément.
Au final, Open World semble être devenu synonyme de remplissage, ou plutôt de « richesse de contenu » comme le qualifieraient les éditeurs ou même parfois la presse spécialisée. Prenons un exemple concret, Batman Arkham City, jeu ayant reçu des critiques élogieuses par toute la presse spécialisée, avec une moyenne de 96 % sur Metacritic, et pourtant il s’agit du Batman Arkham que j’apprécie le moins. Pourquoi ? Tout simplement à cause de la volonté d’ajouter un trop plein de contenu afin de satisfaire un maximum de public. On se retrouve devant un jeu qui réunit tout ce qu’on peut faire de fan service en oubliant ses priorités, à savoir la profondeur de ses personnages.
L’univers de Batman est d’une richesse absolue et comporte moult méchants aussi charismatiques qu’intéressants, mais le souci d’Arkham City est d’avoir voulu relier une dizaine de méchants entre-eux par une trame scénaristique complètement improbable et décousue, pour ensuite mettre des Bad Guys dans des quêtes annexes inintéressantes pour la plupart. Je repense au traitement lamentable infligé à Double-Face qui a tout bonnement l’air d’un parfait idiot, dont le sort s’achèvera sous les griffes d’une Catwoman offerte en DLC… C’est d’autant plus consternant qu’on remarque à travers Batman Arkham Knight qu’il est possible de faire une trame qui tient la route avec 2 Bad Guys uniquement.
Arkham Asylum reste à mon sens le meilleur épisode, sa progression calquée sur celle d’un Metroïd-like permet d’ajouter une excellente trame scénaristique à un genre qui en est habituellement dépourvu. Et même si le scénario se permet de nombreuses libertés, sa narration reste très contrôlée et comporte moult rebondissements là où on ne les sent pas forcement venir (Merci à l’épouvantail).
Un autre exemple des plus maladroits est celui de Metal Gear Solid V The Phantom Pain, notre bon vieux tonton Hideo a eu/approuvé la formidable idée d’inclure des missions secondaires au sein même des missions principales, ces missions annexes n’incluent absolument aucun élément d’histoire mais sont nécessaires afin de débloquer par la suite les missions principales qui elles, incluront des éléments narratifs. On nous oblige donc à faire des missions sans queues ni tètes uniquement pour mériter le droit de voir le twist scénaristique final (que les fans de Snake auront deviné au bout de 2 heures de jeu).
Ceci est d’autant plus déconcertant que sans cela le jeu aurait pu durer probablement entre 30 et 40 heures en ligne droite, ce qui est à mon sens amplement suffisant, lorsqu’on pense au contenu annexe offert dans les missions secondaires.
Personnellement, j’aurai probablement oublié MGS V dans les mois à venir, bien que celui-ci soit un jeu très (trop ?) généreux sur bien des points. Et pourtant je sais que jamais de ma vie de joueur je n’oublierai l’expérience offerte par MGS (1998/PS) premier du nom ainsi que MGS 3 Snake Eater (2004/PS2, XBOX), qui font respectivement 8 heures et 30 heures de durée de vie. La preuve que dans les Open World qualité ne rime pas forcement avec quantité.
Comme je le disais précédemment, le problème ne vient pas du surplus de contenu proposé, mais du fait de forcer le joueur à le faire pour pouvoir terminer l’histoire. Et même quand cela n’est pas obligatoire, les allers-retours incessants sur une map gigantesque cassent cruellement le rythme de la narration. Sur ce point, même si Rockstar ne s’en sort pas trop mal selon les GTA, la qualité des jeux marqués d’un « R » étoilé, se trouve, à mon sens, davantage dans l’écriture des dialogues que dans le scénario en lui-même, souvent bourré d’une multitude de clichés.
Je fais partie de la poignée infime de joueurs s’étant royalement emmerdé devant Red Dead Redemption, là où des milliers de gens criaient au chef d’œuvre. Pourtant l’univers m’intéressait bien plus qu’un GTA. Seulement, l’histoire avait tellement de difficulté à avancer malgré le très bon script que j’ai lâché l’affaire après 8 heures de jeu.
L’un des rare Open World à bien s’en sortir en terme de quêtes secondaires (au même titre que la série des Elder Scroll et des Fallout) reste The Witcher 3 : Wild Hunt. Extrêmement bien écrites et très variées, la plupart de ces quêtes annexes s’accordent même le privilège de rebondir directement sur l’histoire principale. A contrario, la trame scénaristique est extrêmement simple et comporte très peu de rebondissements. Malgré toute l’estime que j’accorde aux séries de CD Projekt Red ou même celles de Bethesda, cela n’a pas empêché la lassitude de pointer le bout de son vilain nez.
Il faut maintenant reconnaître que la volonté absolue de fournir du contenu souvent insipide aux joueurs afin de rallonger artificiellement la durée de vie provoque une lassitude plus rapide, et brise totalement le rythme d’une narration, qui a d’ailleurs parfois du mal a progresser même en suivant l’aventure en ligne droite. On peut citer la plupart des Assassin’s Creed, l’Ombre du Mordor ou encore Mad Max dernièrement.
L’Open World semble être pour l’industrie du triple A la seule façon de subsister, il devient de plus en plus difficile de voir des jeux triple A qui ne soient pas en monde ouvert (hormis bien entendu des jeux comme Call of Duty ou Battlefield qui compensent cela par leur mode multi). Même le futur Mirror’s Edge Calatyst se vante au final d’être un Open World. La recette de Mirror’s Edge était pourtant très loin d’être dénuée d’intérêt sans avoir besoin d’accorder une totale liberté.
Bien sûr, certains mettront en avant la crédibilité et la sensation d’immersion dans un jeu en monde ouvert. Je pourrais alors leur reprocher le nombre de bugs foisonnants et souvent ridicules dû à la grandeur et la difficulté de développer ce genre d’univers, et qui finissent par briser totalement cette immersion. De plus, de nombreux jeux arrivent à être immersifs sans avoir forcement besoin de céder aux sirènes de l’ Open World.
Donc vive la linéarité ?
Oui mais non… qui dit trop grande linéarité dit également richesse de jeu appauvrie. Prenons pour exemple un jeu qui a fait couler beaucoup d’encre pour sa linéarité (et pas seulement), Heavy Rain. David Cage – alias The King of Emotions – avait pour but de faire un jeu extrêmement linéaire aux environnements cloisonnés pour mettre en avant la narration. Résultat des courses : une narration extrêmement étouffante qui prend la plupart du temps le pas sur le gameplay, avec de nombreuses scènes que l’on aurait aimé réellement pouvoir jouer. Cela n’empêchera pas Cage de réitérer avec Beyond Two Souls persuadé d’avoir mis la main sur une partie des joueurs occasionnels.
Dans un registre tout à fait différent, on peut citer Final Fantasy XIII. Même si j’estime que ce dernier est loin d’être un mauvais jeu, on sent que la transition de la PS2 à la PS3 fut difficile pour les japonais. Que l’on apprécie ou pas l’histoire, cette linéarité avait l’avantage de donner un scénario très rythmé avec des rebondissements et une progression narrative toute les 30 minutes en moyenne.
Là où le bât blesse, c’est que la richesse inhérente à Final Fantasy en prend un coup, que ça soit en terme d’exploration, de collecte d’objets et d’équipement, de villes comportant de nombreux vendeurs, forgeront et autre PNJ. Tout cela disparaît pour renaître sous forme d’une borne de sauvegarde à tout faire… J’éviterai de m’étendre encore sur les divers défauts de FFXIII car là n’est pas le sujet mais en définitif, on a là le parfait exemple d’une narration un peu trop cloisonnée au détriment du gameplay richissime inhérent à la saga, cela (en partie) à cause de la linéarité. Donc que faut-il faire ? Simplement (facile a dire) proposer un juste milieu.
Prenons l’époque ou les J-RPG étaient encore florissant, de l’âge d’or de la Super NES jusqu’à celui de la PS2. Hormis des jeux comme Final Fantasy X (2001/PS2), la série des Shadow Hearts (2001-2005/PS2) (R.I.P) ou encore Xenosaga (2002-2005/PS2), rare sont les jeux que l’on qualifiait de linéaires. La plupart des Final Fantasy comportent des univers extrêmement vastes. Il en va de même pour des jeux tels que les fabuleux Chrono Trigger (1995/SNES) et Chrono Cross (1999/PS) ou le mythique Xenogears (1998/PS). Cette impression de vastitude est parfois faussement due à la présence d’une World Map.
Pourtant ces jeux sont bels et bien linéaires scénaristiquement parlant. Ce que je veux dire par là, c’est que vous ne pouvez progresser directement de la ville A à la ville D sans avoir au préalable traversé les villes B et C. Et même s’il est parfois possible de faire cela (dans la série des Chrono par exemple), le scénario n’avancera pas tant que vous n’aurez pas fait ce que l’on attend de vous dans la ville précédente.
L’avantage de ce type de progression et que le développeur aura tout le loisir de surprendre le joueur grâce à des événements programmés sachant que celui-ci sera obligé de passer par tel ou tel lieu. Mais malgré ce contrôle de la narration et de l’aventure, qualifie-t-on ces RPG de jeux aux environnements extrêmement cloisonnés ? Je ne me souviens pas qu’un joueur m’ait dit une seule fois que l’un des jeux précités comportait des environnements minuscules. De plus, ces titres avaient pourtant une excellente durée de vie ainsi que de nombreuses quêtes annexes à accomplir.
Seuls les Dragon Quest (l’autre face d’une pièce comportant l’emblème Final Fantasy) se permettent d’être un peu plus libres que les J-RPG habituels. La trame scénaristique proposant souvent quelque chose de très simple (par exemple détruire le seigneur du mal), le fil scénaristique principal permet d’être relié par plusieurs petites histoires avec un début et une fin, ces dernières rejoignent souvent la trame scénaristique mais peuvent être également abordées dans n’importe quel ordre (DraQue 6 (1995/SNES) en est le meilleur exemple), cela ne vous rappelle pas le type de narration rencontré dans The Wicther 3 ?
Récemment, Monolith Soft a trouvé une réponse intéressante en proposant Xenoblade (2010/Wii), sans être un Open World, ce J-RPG propose des environnements extrêmement vastes au level design travaillé et une narration parfaitement contrôlé, avec des quêtes secondaires (extrêmement redondante il faut l’admettre) complètements séparées de la quête principale.
Tales of Zestiria s’est essayé également à l’exercice du l’Open World à la japonaise, et même si le job est effectué avec moins de maestria que dans Xeno, on sent que l’on est « presque » sur la bonne route pour la série de Bandai Namco.
Manque de créativité vs. level design
La plupart des joueurs actuels qui apprécient les Open World semblent satisfaits de pouvoir courir en ligne droite d’un point A à un point B sans que leur progression ne soit clairement entravée par un quelconque obstacle (on appelle ça la liberté apparemment).
Loin de vouloir une nouvelle fois jouer le blasé, je me souviens avoir profité bien plus des décors et de l’architecture de jeux tels que Dark Souls ou Bloodborne que d’un The Witcher 3. Pourtant ce dernier est loin d’être avare au niveau de sa direction artistique et propose une technique supérieure à son concurrent, mais le fait d’inviter le joueur à avancer à taton comme dans Bloodborne ne signifie pas forcement que le jeu est linéaire. Nous sommes ici en présence d’un jeu bien moins vaste qu’un Open World, mais qui donne tout de même une impression de grandeur assez exceptionnelle, tout cela grâce à un level design archi-maitrisé.
Et bien que des jeux de type Bloodborne ou Souls se veulent être des jeux où la narration a un rôle secondaire (narration indirecte), je pense qu’il est tout à fait possible de préserver cette structure tout en apportant une narration directe à l’ensemble (Lords of the Fallen essaie encore…). Que doivent faire les développeurs alors ? Tout simplement faire preuve de créativité. Il est possible de réduire l’aire d’un jeu tout en le rendant intéressant grâce à des efforts de level design et une narration soutenue. Ainsi le level design poussera le joueur à explorer pour le plaisir de la découverte, et les bribes de scénarios fournies de façon constante serviront à maintenir un intérêt chez le joueur qui voudra connaitre le fin mot de l’histoire.
Quel intérêt de reproduire au polygone près tout l’Etat de Californie sachant qu’un joueur lambda ne prendra pas 30 secondes pour traverser trois pâtés de maison ? Que ce dernier ne prendra même pas le temps d’explorer les alentours ou encore de s’arrêter juste une minute pour s’offrir un magnifique panorama, et qu’en plus celui-ci ne pourra parler à la plupart des PNJ croisés ? J’ai souvent l’impression qu’on remplit ce genre d’Open World avec une tonne de superficialité au mètre carré, dans l’unique but de rendre les jeux plus crédibles.
Loin de moi l’idée de jeter la pierre à Rockstar Games avec leur Grand Theft Auto III (2001/PS2,PC,XBOX) ou à Ubisoft avec leur premier Assassin’s Creed (2007/PC,PS3,X360) qui ont influencé la direction que devait prendre les jeux AAA. Car on ne peut au final pas grand-chose contre la volonté de repousser les limites technologiques. Le problème se prend à contre courant, car même si l’on ne peut empêcher cette avancée, l’on peut tout de même faire progresser l’innovation de gameplay et la narration au sein d’une technique aussi bien désuète qu’extrêmement élevée.
De plus, l’âge moyen d’un joueur ayant considérablement augmenté, la narration dans les jeux a pris davantage d’importance avec le temps. Celle-ci s’est développée et émancipée du genre RPG auquel elle fut longtemps liée, avec des scénarios et personnages plus matures qu’à l’accoutumé. Mais contrairement aux RPG on constate avec amertume que l’histoire à travers les jeux d’aventure dit en Open World est totalement étirée sur la longueur.
Comme vous l’aurez sans doute remarqué, cet article ULTRA subjectif a pour but de poser des questions importantes qui ont attrait à notre média préféré, et accessoirement rallier à ma secte anti-openworld de nombreux joueurs qui se reconnaîtront sans doute dans mes propos ! Pourtant, loin de moi l’idée de me porter garant de l’anticonformisme en envoyant un bon gros doigt d’honneur aux joueurs appréciant Assassin’s Creed, GTA et consort, au point de platiner ces jeux avec la même passion et le même acharnement qu’un maître artisan à l’ouvrage.
Mon but est simplement d’amener les joueurs actuels à réfléchir à ce que deviendront les jeux vidéo à l’avenir, et plus particulièrement les triple A, car si tout comme moi vous souhaitez moins d’open world, plus d’innovation ou un travail plus important accordé à la narration, il en va donc de notre responsabilité de joueurs de changer tout cela, car n’oublions pas, l’achat demeure au final le seul véritable acte militant… Si nous souhaitons un retour à l’innovation et des efforts de narration, arrêtons de faire les moutons.